On entend fréquemment parler des « dangers de la pornographie », on entend le souci exprimé au sujet des jeunes qui seraient davantage sensibles à ce type de contenu, on entend qu’il ne faudrait pas appréhender les scènes pornographiques comme des reproductions de scènes de la vie intime quotidienne.
D’une manière générale, le débat autour de la pornographie est organisé de façon binaire : bien/mal, exploiteur/victime, permis/interdit, sexualité authentique/artificielle, sexualité normale/pathologique, érotisme/pornographie.
Selon Patrick Schmoll, anthropologue, la pornographie est trop souvent pensée comme un ensemble de productions et de conduites transgressives, pathologiques, addictives, artistiquement et culturellement nulles, dégradantes voire violentes pour des catégories spécifiques de populations qu’elles exploitent.
De ce fait, les réponses apportées à ce débat sont le plus souvent cantonnées au registre préventif, juridique ou thérapeutique. Pourtant on peut envisager la pornographie comme un fait social pluridimensionnel. On peut l’approcher d’un point de vue psychologique comme un comportement sexuel, d’un point de vue culturel comme un genre cinématographique, d’un point de vue économique comme un secteur d’activités de production et de services répondant aux besoins d’un marché, d’un point de vue sociologique comme une manifestation des rapports de genres qui caractérisent notre époque, etc.
La pornographie n’est pas seulement un spectacle du sexe, elle fait partie intégrante de la sexualité des personnes consommatrices de ce type de contenu : il s’agit d’une forme de sexualité à plusieurs dans laquelle procuration est donnée à des mandataires pour exécuter l’acte pour le regard du mandant.
On peut parler de sexualité par délégation : la pornographie est un acte accompli par certains, visualisé par d’autres qui en tirent un plaisir également sexuel (même dans les cas où ce plaisir ne reste que voyeuriste), et permis par des tiers qui assurent la communication entre les uns et les autres.
Parler de pornographie amène toujours des questionnements au sujet de « l’addiction au porno » pour désigner les conduites de visionnage intensif et répété d’images pornographiques, envahissant et se substituant à la vie sexuelle et sociale des intéressés, avec une difficulté de ces derniers à rompre avec cette appétence (ce qui peut éventuellement conduire à un sentiment de culpabilité).
Cependant, l’utilisation du terme d’addiction est controversée pour un comportement qui n’est pas reconnu par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) comme peuvent l’être les toxicomanies. Pour Patrick Schmoll, d’une part, il ne s’agit pas d’une dépendance à une substance, mais à un stimulus visuel. D’autre part, il serait plus précis de parler d’assuétude que de dépendance pour désigner un comportement qui manifeste une difficulté à gérer sa propre consommation mais ne présente pas de syndrome de sevrage en cas d’interruption.
D’après ce que je peux observer à mon cabinet, le fait que les personnes ne soient pas sur le plan médical dépendantes à la pornographie n’empêche pas qu’elles puissent ressentir de la nervosité, un sentiment de vide, des difficultés à élaborer des modèles interactionnels conjugaux différents, etc., lors de l’arrêt de la consommation de ce type de contenu.
La pornographie peut servir de refuge pour certaines personnes anxieuses, déprimées, isolées, et bien d’autres profils : des hommes en couple, avec des enfants, une situation familiale et professionnelle stable, des étudiants, en bref, des personnes qui trouvent dans la pornographie une réponse à une attente particulière, complexe, et pas difficilement compréhensible.
La sexothérapie et la thérapie de couple permettent d’aborder sans jugements les questionnements liés à la (trop grande ?) place de la pornographie dans la vie des personnes concernées et de trouver d'autres réponses que ce type de contenu si cela est souhaité.
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