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Podcast - Comprendre la manipulation : entre psychologie sociale, normes culturelles et relations de couple


La manipulation se révèle moins comme une intention malveillante que comme un processus social ordinaire, parfois involontaire, toujours relationnel. Elle circule entre les individus, dans les interstices de la confiance, des émotions, des normes et des attentes.


Le mécanisme d’engagement dans la manipulation: quand un micro-acte modifie toute une trajectoire


Dans le Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Joule et Beauvois décrivent comment une simple requête mineure, un acte apparemment neutre, crée un engagement qui influence ensuite les pensées, les émotions et les comportements.

Leur théorie est approfondie dans La soumission librement consentie, où ils démontrent que nous acceptons des contraintes parce que nous avons été amenés à agir d’abord, puis à justifier après.


Ce phénomène ressemble au processus décrit par Festinger dans A Theory of Cognitive Dissonance : quand nos actes contredisent nos valeurs, nous ajustons nos croyances pour conserver une cohérence interne. Et dans le cadre affectif, cet ajustement est souvent invisible.

Ici, on ne parle pas encore de manipulation. Juste de psychologie humaine.


Manipulation : l'impact des normes sociales


En sociologie, Erving Goffman (notamment dans La mise en scène de la vie quotidienne) montre que chaque interaction nous engage dans une “performance” : nous cherchons à préserver la face de l’autre, à maintenir l’harmonie.

Pour éviter le conflit, nous acceptons parfois des demandes qui auraient été refusées dans d’autres contextes. Cela ouvre la porte à des formes de manipulation douces, qui n’ont rien d’une stratégie pleinement conscientisée.


De son côté, Pierre Bourdieu (dans La domination masculine mais aussi Le sens pratique) explique comment les structures sociales produisent des dispositions à accepter certaines relations asymétriques. On pourrait croire que la manipulation est une affaire de personnalité ; Bourdieu montre qu’elle est aussi une affaire de socialisation : nous avons été formés à interpréter certaines violences comme normales, certaines demandes comme légitimes.


C'est ainsi qu'à mon cabinet, j'observe que le discours des personnes que je reçois ne donne pas seulement à voir une personne qui manipule une autre, mais tout un système relationnel et symbolique qui favorise l’emprise.


Les obligations invisibles


L’un des apports les plus éclairants vient de Marcel Mauss et de son Essai sur le don. Pour lui, tout don crée une obligation.

Dans le couple, cette logique pourrait se traduire par ces phrases :"Après tout ce qu’il/elle a fait pour moi…",“"Je ne peux pas lui dire non...".


Cette obligation implicite rend les frontières poreuses entre générosité, influence et dette affective. L’anthropologue David Graeber, dans Dette : 5000 ans d’histoire, montre d’ailleurs que toutes les sociétés organisent les relations à travers des systèmes d’obligations implicites. Là encore : pas de manipulation intentionnelle, mais un mécanisme culturel qui crée des vulnérabilités dans les relations intimes.


Pouvoir, obéissance, suggestion : de Milgram à Cialdini


Lorsque Beauvois écrit sur la soumission librement consentie, ses travaux dialoguent implicitement avec les expériences de Stanley Milgram (Obedience to Authority). Milgram montre que l’on obéit non parce qu’on est faible, mais parce que la situation nous y pousse. Et Beauvois montre que l’on se soumet parfois… sans même s’en rendre compte.


On retrouve une autre perspective dans Robert Cialdini, Influence et manipulation, où les techniques de persuasion reposent sur des biais humains universels : réciprocité, rareté, cohérence, sympathie, autorité, validation sociale. Dans le couple, ces biais peuvent être activés involontairement : "J’ai fait un effort, à toi maintenant. » (réciprocité) / Tu veux vraiment qu’on se dispute pour ça ?" (cohérence) / "Tout le monde ferait pareil" (validation sociale).


La morale ordinaire : Boltanski, Thévenot, Fassin


Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (De la justification) montrent comment chaque personne mobilise des justifications morales pour légitimer ses actes.


Dans les relations affectives, chacun crée une narration qui soutient sa manière d’aimer, de demander, de négocier : un terrain idéal pour les glissements, les pressions douces, les formes de manipulation sans intention de nuire...


Didier Fassin, avec la notion de moral economy (La raison humanitaire, Punir), montre comment les émotions comme la compassion, la culpabilité, l'attachement, sont des instruments de pouvoir !


Dans les couples, ces “économies morales” peuvent prendre la forme de : " Je fais tout pour toi" / "J'ai tout fait pour toi" / " Si tu m’aimais vraiment… / "Tu ne peux pas me faire ça", etc.


La manipulation est alors un usage des émotions comme ressources.


La clinique du couple : ce que ces théories éclairent dans l’intimité


Beaucoup de personnes ne reconnaissent pas la manipulation parce qu’elle n’arrive pas sous forme d’agression : elle arrive dans la zone grise, là où les concessions se multiplient, où les émotions se mélangent aux normes sociales, aux obligations implicites, et à la peur de perdre le lien.


Au cabinet, les personnes racontent rarement : "Il/elle m’a manipulé-e". Elles disent : "Je ne comprends pas comment j’en suis arrivé-e là", " C’était progressif", "J’avais l’impression de devoir le faire" .


En fait, la manipulation est un effet de système, pas un défaut individuel.


C’est libérateur. Parce que cela retire la honte. Et redonne de la puissance d’agir.


Conclusion : comprendre pour reprendre le pouvoir


La manipulation n’est donc pas le fait d’individus malveillants, mais le résultat d’un réseau d’engagements, de normes sociales, d’obligations affectives et de justifications morales.

On ne se protège pas en se méfiant des autres. On se protège en comprenant les mécanismes sociaux et relationnels.



Comprendre la manipulation grâce à la psychologie sociale
En somme, comme l’écrit Beauvois :"On ne manipule pas les gens parce qu’ils sont manipulables ; on les manipule parce qu’ils sont humains" .

 
 
 

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